« Il n'y a pas de rapport sexuel » : ce fameux énoncé de Lacan n'en est pas moins énigmatique, que peut-on en dire ?
Marie Phelep Yaouanc - 18 mars 2024
« Il n'y a pas de rapport sexuel » : ce fameux énoncé de Lacan n'en est pas moins énigmatique, que peut-on en dire ?
Marie Phelep Yaouanc - 18 mars 2024
« Il n’y a pas de rapport sexuel » : ce fameux énoncé de Lacan
n’en est pas moins énigmatique, que peut-on en dire ?
Marie Phelep-Yaouanc
Quimper, le 18 mars 2023
Françoise Angelini : Il y a de quoi rire.
Marie Phelep Yaouanc : Alors j’ai donc pas de note, ça c’est la bonne blague, je suis là avec mon ordinateur parce que j’ai eu du mal à écrire pour vous parler de « il n’y a pas de rapport sexuel », j’ai trouvé une technique pour essayer d’arriver à dire quelque chose de ça, c’est que je me suis enregistrée, et ça marche, et après j’écris, j’ai pas réussi à boucler mon affaire, j’ai repris un peu tout ça ce midi, et là j’ai plus rien. Je vais faire sans note, c’est étrange, pas de discutant, pas de note, et en même temps j’ai plein de choses à vous dire, j’aurais juste pas les citations, c’est dommage, ça m’aide bien d’avoir le texte. Je vais essayer d’aller là où je voulais essayer d’aller.
Mon idée était d’entendre cette formule à la fois à l’évidence comme on l’entend assez spontanément : il n’y a pas de rapport sexuel entre une homme et une femme, il y a une différence radicale et notamment un différence radicale des jouissances, et je crois qu’on l’a bien entendu aujourd’hui. Mais j’aurais voulu faire le lien avec un autre sens possible, à partir d’une intuition qui m’est venue, une proposition qui a été faite dans le groupe où je travaille à Brest, à un endroit du séminaire, où Lacan dit à plusieurs reprises, dans Encore : « il n’y a pas de réalité pré-discursive », « le discours psychanalytique c’est ce qui nous fait abandonner toute subsistance du monde », et là dans le travail du groupe, c’est Madame Le Coat qui nous a soumis, de manière un peu : « débrouillez-vous avec ça », ça m’a mise au travail, ça veut dire quoi : « il n’y a pas de rapport sexuel ». En fait, ce que j’aimerais montrer aujourd’hui c’est à la fois comment ça renvoie à l’idée d’une différence des jouissances, mais aussi peut-être que c’est l’énoncé qui rend compte du style de Lacan, son souci de faire une critique de la philosophie en fait, et de l’ontologie philosophique. Je vais essayer de définir ce que c’est que l’ontologie dans la philosophie traditionnelle. J’avais l’idée de suivre un plan mais je vais commencer par dire comment m’est venue cette idée que « il n’y a pas de rapport sexuel », ce serait l’expression chez Lacan de cette idée que l’ontologie dans la tradition philosophique est ici remise en question. L’ontologie, j’ai essayé de définir ce que c’est à l’appui d’exemples. Comment m’y prendre ? Pour commencer, c’est l’idée qu’il y a un monde et que l’homme est capable de parler du monde qui est. « Il n’y a pas de rapport sexuel » chez Lacan, peut-être ça veut tout simplement dire que dès qu’un être parlant essaie de parler de ce qui est, il y a hiatus, ratage, de la même manière qu’il y a aussi ratage entre l’homme et la femme. Je suis embêtée de pas avoir mes notes, ça va être vraiment difficile de parler comme ça sans ce support du propos de Lacan dont j’ai besoin qu’il soit assez précis pour arriver à articuler quelque chose. Je continue d’essayer quand même. Pour commencer, ce sens plus ordinaire qu’on peut entendre dans « il n’y a pas de rapport sexuel » qui renverrait à cette différence radicale des jouissances entre jouissance féminine et jouissance masculine. Différence des jouissances. Peut-être y a-t-il tout de même un point commun, c’est que toutes les deux, elles ratent : il y a une façon mâle de rater, une façon femelle, ça s’élabore pas de la même manière des deux côtés mais des deux côtés, la jouissance est en-deçà de ce qu’on en attend. Dans le tableau de la sexuation, Lacan le présente dans une leçon du séminaire, « qu’est-ce qui … » – c’est impossible de citer Lacan de mémoire – en gros l’idée c’est que côté homme, ce qui s’inscrit comme jouissance du fait de la castration, qui s’appelle jouissance phallique, qu’il appelle aussi jouissance sexuelle, c’est une jouissance de l’organe et elle a ce caractère d’être limitée, c’est ce que je vais en retenir, c’est ce qui la borne et qui la fait rater, la rend boiteuse en tant que jouissance, qu’est-ce qui fait que l’homme a accès à l’Autre, c’est ce qu’il vise en l’autre à savoir l’objet a, mais jamais il ne jouit du corps de la femme, il dit quelque chose comme ça. Ce dont il jouit, c’est d’une partie découpée dans le corps de la femme par le signifiant. La jouissance sexuelle est qualifiée de phallique du fait qu’elle a rapport au signifiant. Du côté de la jouissance phallique, ça rate. Côté femme, on a essayé d’en parler aujourd’hui de cette jouissance Autre, jouissance supplémentaire, on pourrait entendre que cette jouissance vient comme combler les lacunes de la jouissance phallique qui elle est insuffisante, limitée, mais non, côté femme ça rate aussi, c’est rassurant car le fait que la jouissance phallique soit bornée, qu’elle ait des limites est la condition de ce qu’elle soit supportable, cette jouissance. Côté femme, ça rate aussi. Ce qui est intéressant, et on l’a entendu ce matin, c’est que côté femme il y a un accès à la jouissance phallique, évidemment, elle y est à plein, elle y est pas toute, il a plein de formules pour faire entendre à quel point la jouissance phallique concerne aussi les femmes et que l’inverse est possible aussi. Ça rate comment côté femme ? ça la laisse sans voix, elle ne peut rien en dire. Même nous, on arrive pas trop à savoir ce que c’est. On a parlé des mystiques ce matin, je suis toujours un petit peu embarrassée par la question de la mystique parce que comme vous le disiez tout à l’heure M. Cathelineau, la jouissance des mystiques est toujours dans une référence au phallus, on a bien entendu dans les citations amenées par Paul Bothorel qu’il y a érotisation. Si j’avais eu quelques appuis supplémentaires je vous aurais fait entendre un autre aspect de la jouissance Autre que j’ai simplement recensé dans le séminaire de Lacan, où j’entends le silence, l’incapacité de dire quoi que ce soit, une proposition a été faite ce matin par une personne qui citait Marie-Charlotte Cadeau qui parlait de l’abîme, on est dans un autre registre que l’érotisme. Là aussi côté femme, il y a quelque chose qui rate. Donc là où on aurait pu entendre que cette jouissance, comme le dit Tirésias, qui confirme auprès de Héra, comme on a entendu ce matin Hélène Béroul nous le rappeler, c’est plus intense, c’est plus, ben peut-être pas. C’est autre, c’est autre chose, on entendait par exemple Thérèse d’Avila, j’ai cru entendre que ça aurait pu durer plus longtemps ; peut-être avec une différence de degré, c’est tout aussi insuffisant que la jouissance de l’organe qui laisse chacun sur sa faim, et la patiente de Hélène Béroul qui jouit une fois sur quatre, c’est déjà pas mal. Je voulais reprendre « il n’y a pas de rapport sexuel » au sens d’un ratage des jouissances qui marque le ratage dans la rencontre entre un homme et une femme.
Ce vers quoi je voulais aller – et je ne sais pas ce que je vais réussir à faire sans note : « il n’y a pas de réalité pré-discursive », le discours psychanalytique est celui qui remet en question l’idée de subsistance du monde, cela veut dire : « il n’y pas de rapport sexuel ». Je l’entends ici au sens où dans cette conception commune, où il y a le monde, il y a des êtres qui existent, et il y a l’homme qui en parle, qui connaît, qui est même capable de produire des discours vrais sur le monde, c’est la définition de la vérité dans la tradition philosophique, chez Aristote notamment, c’est-à-dire la capacité à produire un discours vrai en adéquation avec ce qui est. Quand Lacan vient dire : « il n’y a pas de réalité pré-discursive », tout ça, ça s’effondre, et le monde que l’être parlant habite, c’est le langage. Il y a un renversement complet de la perspective ontologique, traditionnelle.
« Il n’y a pas de rapport sexuel » : ah oui voilà, pour entendre cette manière, avec une telle formule, de penser le rapport entre l’homme et le monde, c’est à cet endroit là aussi qu’il n’y a pas de rapport sexuel, pas qu’entre un homme et une femme, dans notre rapport au monde, c’est là qu’il n’y a pas de rapport sexuel : on ne peut pas l’écrire. On peut très bien écrire x R y. X l’homme, Y la femme, et R rapport, mais seulement c’est des bêtises. Ce matin on a parlé des bêtises, c’est très bien de dire des bêtises, il nous invite même à en dire, mais là dans « bêtises », c’est quand même des bêtises ce que Freud dit de la jouissance féminine, la question du féminin chez Freud, Lacan le dit comme ça, c’est con. Réfléchir à la question de la jouissance féminine en termes de jouissances clitoridienne ou vaginale, c’est ça qui est con, les conneries, la bêtise. Dans la démarche scientifique d’un Freud, on trouve exactement ce que j’essaie de nommer par le terme d’ontologie et que je renvoie à la tradition philosophique : c’est-à-dire de ne pas entendre que homme et femme sont des signifiants, et de partir de définitions universelles de homme et de femmes, ce qui est la condition pour arriver à écrire x R y. C’est justement pourquoi c’est des bêtises, dans le passage de Encore où il en est question, puisque c’est à Freud que renvoie Lacan, quand on écrit cela, on fait entrer la femme dans cette écriture « quod matrem », en tant que mère, il y a une fixité du sens, on fait exister les choses, on les assoit sur de l’être, on dit : il y a de l’être, le féminin c’est la maternité. Quand Lacan vient dire « il n’y a pas de rapport sexuel », si par là il s’agit d’entendre qu’il n’y a pas de réalité pré-discursive, et que homme et femme sont des signifiants, et bien on entre en rupture avec cette conception commune du rapport de l’homme au monde.
Je me suis appuyée sur un texte de Barbara Cassin, femme, philosophe, qui propose une lecture de l’Etourdit de Lacan, à deux voix, avec Alain Badiou. Elle s’intéresse à ce passage dans Encore où Lacan fait référence à Démocrite. Elle rappelle que c’est en passant par Aristote, que tout le travail d’Aristote a été un travail de fixation du sens à partir du principe de non-contradiction, dont elle montre que Lacan vient y substituer un autre principe qui est : « il n’y a pas de rapport sexuel » où on peut entendre finalement, c’est le sens que je vais donner à cette formule de manière conclusive : « il n’y a pas de sens définitif ». Pourquoi n’y a-t-il pas de sens définitif ? À cause du réel, qui est cet impossible, qui vient faire trou, et à la fois permettre la jouissance quelle qu’elle soit, l’entretenir, aussi faire que tout ce qu’on pourra dire ne sera jamais que du semblant. Finalement, Lacan, dans Encore et dans l’Etourdit, fait référence à Démocrite. Je me permets de vous en parler parce que c’est vraiment intéressant, c’est une référence que Barbara Cassin m’a permis de repérer dans le texte, sur quoi j’étais passée trop vite dans le groupe. Elle montre que Lacan s’intéresse au den chez Démocrite, c’est un néologisme chez ce penseur pré-socratique qu’on a complètement oublié, la philosophie occidentale s’intéresse assez peu aux pré-socratiques, comme elle s’intéresse assez peu aux sophistes, les sophistes intéressent beaucoup Barbara Cassin, qui a écrit un bouquin qui s’appelle Jacques le sophiste4, faisant référence à Lacan, c’est un autre rapport au langage que celui du discours du maître et de la philosophie traditionelle, ou de l’ontologie. Donc le den c’est un néologisme qui est intraduisible, c’est pas « rien », c’est peut-être « -ien » ou « rie- », et elle cite ce passage dans « l’Etourdit où Lacan », parlant du den, parle du « joke » de Démocrite, c’est une phrase qui commence par « qu’on rie », et finalement, c’est peut-être cela qui nous reste, s’il y a le réel qui est cet impossible, fondateur de cette expérience qui est celle de l’être parlant qui habite le langage, ce qui nous reste, c’est l’attention à l’équivocité à l’infini, et le rire que ça peut susciter chez nous. Je voulais juste ajouter que l’année dernière j’avais travaillé sur l’angoisse, ça m’avait suscité pas mal d’angoisse. Et là « il n’y a pas de rapport sexuel », on entendait ce matin quelqu’un qui disait « le ratage, c’est porteur », et bien en effet : il n’y a pas de rapport sexuel, ça fait du bien, c’est ça qu’on a entendu aujourd’hui, c’est la limite à la jouissance qui fait du bien.
- A. : Je pensais à cette question du monde : comment on habite le monde ? À travers notre fantasme, par l’intermédiaire de notre fantasme, chacun son fantasme, et cette attente de chacun, côté homme pour l’objet a, bien sûr il espère l’atteindre mais ça ne pourra pas être, et côté femme, elle attend de l’homme le phallus alors qu’il est castré. Ce ratage est des deux côtés, ce qui fait que effectivement chacun pris dans sa réalité fantasmatique désirante, il ne peut y avoir que l’âme-our pour supporter la répétition, de répéter d’attendre ce que l’autre ne peut pas donner.
- P. : Ce qui me fait penser à la question que posait Pierre-Christophe Cathelineau ce matin, je sais plus à la suite de quelle intervention, vous posiez la question de savoir si le réel ne se déplace pas, et moi je me suis dit : est-ce que justement dans cette entente de « il n’y a pas de rapport sexuel » comme acceptation d’un réel qui fait trou et qui ouvre à cette équivocité à l’infini, c’est pas nous qui nous déplaçons par rapport au réel, et c’est ça qu’on a entendu dans toutes les vignettes cliniques, c’est comment ça se produit pas toujours, qu’on arrive à faire avec le réel, faire avec le manque dans l’Autre. Il n’y a pas de rapport sexuel, ça fait du bien parce que ça rappelle le manque dans l’Autre avec quoi on a à faire nécessairement. Et finalement cet impossible qui se déplace, ben moi je me dis que c’est peut-être le travail de la cure que de se déplacer soi-même par rapport à ce réel, c’est l’hypothèse que je soumettrais.
M-B.C. : Le déplacement du sujet par rapport au réel, est-ce que c’est pas ce que vous avez réussi à faire aujourd’hui, avec ce trou dans votre texte, et où malgré tout quelque chose a pu aussi apparaître.
- A. : vous savez ce qui m’est venu en tête tout de suite ? Vous connaissez la chanson de Brel, La valse ? Voilà, c’est pas mal de valser aussi. Pierre-Christophe, je vous laisse la parole.
P.C.C. : j’ai trouvé que l’exercice était brillant, ce serait souhaitable que nous soyons tous capables d’intervenir comme vous l’avez fait, sans note, et avec une énonciation qui laisse apparaître l’inconscient, comme l’avait souhaité Melman lors de journées qui avaient déjà eu lieu et qui s’étaient bien déroulées, bravo pour cette performance et pour cette façon de prendre les choses. Simplement j’aimerais revenir sur l’impossibilité du rapport sexuel comme inscription, vous situez ça du côté du ratage du côté mâle comme du côté femelle, et qui ne s’écrit pas. C’est-à-dire que X r Y ça n’a qu’un sens stupide, débile, et Lacan le montre de façon magistrale dans Encore, ça ne s’écrit pas. Donc ratage d’un côté et ininscriptibilité de l’autre. Simplement pour revenir à cette idée que la non-inscription du rapport sexuel d’un point de vue écriture, et le ratage du rapport sexuel dans la relation entre un homme et une femme, est-ce que c’est une fatalité irréductible ? Vous allez me dire, Lacan met en cause dans la façon dont il présente les choses l’ontologie, vous l’avez très bien dit, et même il met en cause que l’amour fasse un, après tout on pourrait se dire si on suit Lacan dans Encore : l’illusion de faire un avec le monde dans une ontologie, dans l’amour, c’est une illusion impossible à dépasser, irréductible, si on s’en tient à ce qu’on lit dans Encore. Simplement, là Lacan est dans un suspens, il avance au fur et à mesure que ces questions se posent, comme vous l’avez fait dans votre propre exposé avec beaucoup d’énonciation. Je vous propose une autre énonciation : est-ce qu’il n’est pas possible d’envisager que ce réel impossible que vous situez comme le réel du trou, lié à un ratage absolu entre jouissance phallique et jouissance Autre parce que d’un côté il y a un espace fermé et de l’autre un espace ouvert, et que Achille ne rejoint jamais la tortue dans sa poursuite de la tortue, ce ratage est-ce qu’il est fatal ? Justement, c’est pas ce qui ressort de l’enseignement de Lacan, ni de l’enseignement de notre maître Charles Melman, qui a introduit cette notion il y a vingt ans, comme ça a été rappelé récemment dans le séminaire sur L’homme sans gravité, ça a été rappelé par Jean-Pierre Lebrun, il a introduit l’idée que chez Lacan il y a une préoccupation du rapport sexuel comme tel, il le situe avec l’épisode des Hébreux et des femmes Moabits, qui copulent dans la débauche joyeusement dans un chapitre de la Bible, mais il le situe aussi de façon beaucoup plus clinique on va le dire dans la correspondance avec Joyce, et donc à quoi ça correspond cette correspondance avec Joyce sinon précisément à situer par rapport au travail d’écriture, la possibilité de l’écrire et donc de déplacer le réel, de ne pas voir dans ce ratage quelque chose qui soit le réel, mais considérer que le ratage peut être déplacé. C’est vrai que l’inscription du nœud de Joyce et Nora avec cette écriture de la non-équivalence, je vais pas le rappeler mais le nœud de Joyce par rapport à Nora ne s’écrit pas de la même manière que le nœud de Nora par rapport à Joyce, c’est non-équivalent, et cette différence d’écriture qui introduit une dissymétrie donne un éclairage nouveau par rapport à ce qu’il en est de l’écriture des mathèmes de la sexuation, c’est-à-dire : est-ce qu’on peut pas lire les mathèmes de la sexuation comme une écriture de la dissymétrie qui rendrait possible l’écriture du rapport sexuel ? Et ça c’est sans doute l’innovation de Lacan au cours de son travail que de considérer que c’est possible, et que le réel qu’on considérait comme impossible, se déplace par rapport à cette écriture. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je vous propose un prodrome de ce que je vais raconter la semaine prochaine à Rome.
- P. : ça donne envie d’en entendre plus évidemment. Moi ce à quoi ça me fait penser ce dont vous parlez là, et d’ailleurs je crois que c’est à l’issue de cette intervention que vous avez posé cette question, c’est le cas clinique amené par Hélène Béroul ce matin, à savoir cette femme, dont vous aviez dit je crois après la présentation qui avait été faite de la vignette, qu’elle est dans une relation à son mari qui fait rapport, où elle a une sexualité épanouie, et puis il y a ce moment de traumatisme et d’opération qui vient s’avérer mortifère, et pour le couple, défaire le rapport, et plonger cette femme dans un désarroi. Le lien que je fais avec ce que j’essayais de dire en conclusion, à savoir : est-ce que c’est pas nous qui nous déplaçons par rapport à cet impossible, j’arrive pas encore à entendre ce que ce serait que cet impossible qui se déplace, le réel qui se déplace, j’arrive pas à entendre de quoi il peut s’agir là, c’est pour ça que j’aimerais en entendre plus, mais je ne serai pas là à Rome le week-end prochain, c’est ça ?
P.-C. C. : oui, y a personne qui est inscrit pour le moment, ça va être dans le vide.
- P. : ah ! En tout cas ce que ça m’évoque, c’est que peut-être que si je suis ok avec le fait que ça rate, pour le dire de manière très triviale, pardon, si je suis ok avec le fait que ça et donc : il n’y a pas de rapport sexuel, et je peux m’en tenir à ça, même si comme vous le montrez Lacan va aller au-delà, si je suis ok avec ce principe-là, et bien je peux m’épargner une opération, et l’illusion d’une jouissance en sus que j’en espère, que j’en attends, et qui en fait va avoir des conséquences de l’ordre du ravage. Vous voyez ce que j’essaie de dire ?
P.-C. C. : oui je vois bien mais avec son guerrier du sexe, elle était très contente une fois sur quatre, donc euh…
- P. : même si c’est que une fois sur quatre, eh bien…
P.-C. C. : ce que je veux dire c’est que là où on situe l’impossible, c’est peut-être pas l’impossible à quoi on a à faire. Et donc alors je ne parle pas de l’amour fusion. C’est trop facile de dire que c’est le côté psychotique de Joyce qui fait qu’il fait un vrai couple, c’est une façon d’éliminer le problème du rapport sexuel, donc en considérant que c’est le vrai couple, on a vu ça à l’école de Sainte-Anne, moi je suis pas du tout sur ces positions. Mais le fait qu’on puisse écrire de la dyssimétrie de jouissance et considérer que cette dissymétrie rende possible, dans le lien sexuel, quelque chose de la jouissance, vous lisez la correspondance de Joyce, avec ce côté cru que Joyce a d’écrire, vous voyez que ça rend possible les choses, et comment Nora lui répond, elle lui répond du tac au tac dans les lettres, qu’on n’a pas d’ailleurs, qu’on a perdues, ça restera une jouissance supplémentaire pas-toute, mais elle lui répond, et donc ça c’est quand même un truc qui est intéressant, parce que ça nous sort un peu de notre névrose, notre névrose ordinaire qui considère que l’impossible est du côté du ratage.
- P. : mais c’est pas du tout la même façon d’écrire le rapport sexuel qu’une tentative théorique, c’est-à-dire là, ça s’écrit, il y a une correspondance. Ça s’écrit en un tout autre sens.
P.-C. C. : Voilà.
- L.C.K : La question d’un réel qui viendrait être déplacé par rapport au réel, ça me fait penser au nœud borroméen. Parce que le gros problème qu’on a toujours avec ce nœud c’est qu’il est fait de trois consistances, S, R et I, trois consistances nouées, et il se dit réel en soi. Il y a deux sortes de réel dans le nœud, c’est à la fois le nouage, et ce troisième, le réel parmi le symbolique et l’imaginaire. La question du tableau de la sexuation : qu’est-ce qu’il vise, lui ? Côté homme ? Ben il vise l’objet, c’est-à-dire le côté réel. Et elle, côté femme, qu’est-ce qui est visé côté femme ? Et ben ce qui est visé c’est le phallus, c’est-à-dire côté symbolique. Autrement dit, du côté homme ce qui est tenté d’être mis dans le nœud c’est le réel, et côté féminin c’est le symbolique, tout ça évidemment, chacun y met joyeusement son imaginaire, on ne peut pas autrement, c’est l’être humain, et ben le nœud qui en sortirait est du pur réel, et votre question de dire : peut-être que ce non-rapport qui se trouverait déplacé, je dirais oui à partir du moment où les deux conçoivent à l’écriture d’un nœud, chacun y apportant quelque chose, mais que ça soit un nœud à deux, voire à trois, puisque le nœud bien sûr se fait à deux avec un tiers, et que du coup il est réel pour que chacun se constitue consistance pour l’autre, pas la même, mais dans la pure différence. Je sais pas si c’est très clair mais…
P.-C. C. : C’est très clair et je vais dans votre sens. Dans l’intervention que je vais faire à Rome, je vais dans le sens de ce que vous dites, c’est une écriture réelle de la pure différence. Et c’est ça le rapport sexuel.
- A. : merci à tous les intervenants, merci Marie pour cette brillante improvisation inconsciente.
P.-C. C. : C’était formidable, bravo. Vallait mieux venir sans note !
- P. : Merci à toutes les personnes qui ont parlé avant et qui ont nourri mon propos.
P.-C. C. : C’était une excellente conclusion.
- A. : Merci à tous !