20 septembre 2024 - Saint-Brieuc - Libres mais accros ! - Thierry Roth
Édito
de Françoise Angelini,Présidente de l'association
Le site de l’A.L.I. Bretagne vous accueille avec les portraits de Freud, de Jacques Lacan, mais aussi celui de Charles Melman. Nous savons notre dette envers lui qui répondit toujours présent à nos invitations à participer à nos journées d’étude en Bretagne. Charles Melman soutenait notre association. Attentif à son devenir, il accompagnait nos questions concernant la clinique psychanalytique en Bretagne, l’histoire de sa culture et de sa langue, et leurs effets inconscients dans l’avènement du sujet dans la cité. Fidèle héritier de ses ainés, Charles Melman a veillé toute sa vie à la transmission des concepts élaborés par Jacques Lacan, lecteur de Freud, et a poursuivi leur recherche. En témoignent ses séminaires, conférences et exposés – regroupés dans des livres – interrogeant le tissage du lien social aujourd’hui, dans notre civilisation occidentale contemporaine. Quelle trame soutient ce tissage ? À la fin du 19ème siècle Freud écrit que le refoulement... Lire la suite
Édito
de Françoise Angelini
Le site de l’A.L.I. Bretagne vous accueille avec les portraits de Freud, de Jacques Lacan, mais aussi celui de Charles Melman.
Nous savons notre dette envers lui qui répondit toujours présent à nos invitations à participer à nos journées d’étude en Bretagne.
Charles Melman soutenait notre association. Attentif à son devenir, il accompagnait nos questions concernant la clinique psychanalytique en Bretagne, l’histoire de sa culture et de sa langue, et leurs effets inconscients dans l’avènement du sujet dans la cité.
Fidèle héritier de ses ainés, Charles Melman a veillé toute sa vie à la transmission des concepts élaborés par Jacques Lacan, lecteur de Freud, et a poursuivi leur recherche. En témoignent ses séminaires, conférences et exposés – regroupés dans des livres – interrogeant le tissage du lien social aujourd’hui, dans notre civilisation occidentale contemporaine.
Quelle trame soutient ce tissage ? À la fin du 19ème siècle Freud écrit que le refoulement des désirs infantiles est à l’origine de la constitution de l’inconscient. De la théorie de l’inconscient Freud fonde la psychanalyse.
Lacan, lui, pose que cet inconscient est structuré comme un langage, qu’il est le discours de l’Autre. « L’inconscient c’est la politique », dit-il.
Dans son livre La nouvelle économie psychique, paru en 2010, C. Melman questionne le statut actuel de l’inconscient : « Dans ce nouveau dispositif subjectif, celui de l’homme moderne, le sujet du désir se trouve déplacé. Ce n’est plus en effet le sujet inconscient d’un désir, d’un objet lui-même inconscient, c’est le sujet tout à fait explicite parfaitement présent dans le champs des représentations, le sujet de l’énoncé qui désigne de façon tout à fait claire quel est l’objet concerné par son désir et dont je dis bien que la connaissance lui vient de l’opinion. C’est ici qu’il faudrait traiter la question de ce qu’est aujourd’hui le statut de l’inconscient. (…) Cette coexistence d’un inconscient et d’un sujet, c’est-à-dire de quelqu’un qui donne voix au corps de cet inconscient, a-t-elle toujours été ? »
Mais alors, de quoi est faite la trame sur laquelle se tisse le lien social actuel ? Le sujet contemporain n’aurait-il pas d’inconscient ? Si, comme le disait Jacques Lacan, l’inconscient c’est la politique… qu’en est-il de la politique ?
Charles Melman est décédé en octobre 2022 et notre transfert de travail lui survit. Nos enseignements à l’A.L.I. Bretagne sont éclairés de sa transmission actualisée de l’oeuvre de Freud et Lacan.
Dixit Charles Melman
Une amie m’a demandé ce qui pouvait spécifier le caractère breton d’une école psychanalytique, et bien justement je le situerais du coté de la particularité de cette nostalgie ; particularité qu’il y a lieu de préciser. Nostalgie que je me permettrais d’évoquer : celle d’une origine, d’une culture, d’une langue perdues. Nostalgie d’une langue, d’une culture, d’une origines perdues, d’avoir à se tenir debout, à se verticaliser, à œuvrer, à se marier, alors que justement cette origine, cette langue sont perdues. Le problème à cet endroit là, me semble t-il, surgit de façon aigue. Quelle réponse donner à cette perte, et qu’est-ce qui a été perdu ? Je veux dire : sommes-nous en mesure de concevoir que cette perte n’est pas spécifique après tout du monde celte, du monde breton mais que nous avons peut-être, après tout, tous perdu ce rapport à l’origine et, même lorsque la réalité historique est venue le confirmer ?
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Dixit Charles Melman
Je me suis longtemps demandé ce qui faisait mon attachement à la Bretagne. Il peut paraître bizarre qu’il faille beaucoup de temps pour arriver à des conclusions simples.
Je crois que ce qui fait l’unité de ce pays n’est pas tant géographique que constitué par une nostalgie. Est-ce que partager une nostalgie peut faire une communauté ? Je le crois ; c’est ce qui permet d’avancer ce thème à propos de ce qui nous réunit aujourd’hui, l’École Psychanalytique de Bretagne.
Une amie m’a demandé ce qui pouvait spécifier le caractère breton d’une école psychanalytique, et bien justement je le situerais du coté de la particularité de cette nostalgie ; particularité qu’il y a lieu de préciser. Nostalgie que je me permettrais d’évoquer : celle d’une origine, d’une culture, d’une langue perdues. Nostalgie d’une langue, d’une culture, d’une origines perdues, d’avoir à se tenir debout, à se verticaliser, à œuvrer, à se marier, alors que justement cette origine, cette langue sont perdues. Le problème à cet endroit là, me semble t-il, surgit de façon aiguë.
Quelle réponse donner à cette perte, et qu’est-ce qui a été perdu ? Je veux dire : sommes-nous en mesure de concevoir que cette perte n’est pas spécifique après tout du monde celte, du monde breton mais que nous avons peut-être, après tout, tous perdu ce rapport à l’origine et, même lorsque la réalité historique est venue le confirmer ? Mais ce rapport est fondamentalement mythique, à cette origine qui aurait pu être celle de l’accomplissement que chacun de nous peut souhaiter, qu’il soit personnel, celui des relations, celui que nous évoquons quand nous parlons de la langue maternelle.
Nous nous sommes plusieurs fois attachés à cette question dans notre école : qu’est-ce qui spécifie pour nous cette langue maternelle ? Est-ce que nous ne serions pas tous, au-delà, je dis bien, au-delà de ces différences, au-delà de ce que la réalité historique est venue confirmer dans bien des cas, dans cette nostalgie d’une origine qui aurait été celle de l’accomplissement personnel, collectif, social, et qui, à ce moment là, ferait que la singularité de telle ou telle communauté se trouverait représenter ou se conjoindre à ce qui serait le grand trait de ce que nous sommes les uns et les autres, quelle que soit notre origine, et quelles que soient nos apparences, de certitudes que nous avons quant à ces origines, sachant bien que ce ne sont jamais que des mythes qui viendront correctement y répondre parce que l’histoire s’avère là trop défaillante pour pouvoir soutenir ce qu’il en serait de cette assurance, de cette détermination trop précise, de ce point d’accrochage auquel nous aspirons tous. Ce qui fait que dans mon cas je pense – en tout cas je vous le livre – que ce qui m’a toujours fasciné dans ce pays, et qui a fait que pendant de très nombreuses années j’y ai eu une résidence qui était pour moi tout à fait privilégiée, pas seulement de vacances, c’était bien au-delà. Je dis bien, je suppose, le sentiment d’avoir rencontré dans ce peuple breton cet état dépressif dans lequel nous laisse ce désarrimage de ce point que j’évoquais tout à l’heure. État dépressif qui, je crois, nous marque de manière si générale et si peu réductible. Je crois que ce à quoi on reconnaît une créature humaine, c’est avant tout à cette petite tonalité dépressive qui l’accompagne et qui me semble articulée autour de ce détachement, autour de cette solitude à laquelle nous sommes destinés même quand nous cherchons avec l’agrément de la collectivité comme aujourd’hui à l’occasion de ce repas, de cette rencontre, même quand nous cherchons à la réparer, à la corriger, voire à faire le rêve d’un rétablissement de cet Eden original.
Lacan disait – puisque Jacques Garnier, après Rozenn le Duault, a si bien évoqué ce que pouvait raconter Lacan au sujet de l’île sur laquelle par exemple aujourd’hui nous sommes – Lacan disait que son enseignement n’avait jamais fait que vacuole. Et alors comme vous le disiez, Jacques, effectivement, une île après tout, si on ne se fascine pas sur le caillou ça peut aussi être pris comme ça, comme une petite vacuole, et je ne veux pas filer cette métaphore trop avant, mais nous savons combien la vacuole est nécessaire à notre respiration, à la possibilité de la vie. C’est à dire que la vacuole, dans la cellule, est déterminante de la possibilité de l’existence et c’est sans doute le cas pour nous. Ce qui fait que cette vacuole bien sûr ne va pas de notre part sans douleur, elle ne va pas sans plainte, sans nostalgie comme je l’évoquais ; mais je pense qu’il faut parvenir à la retourner et finalement à la concevoir comme étant l’accident heureux, car celui auquel nous devons de pouvoir penser, de pouvoir respirer, de pouvoir nous décider et je me disais pour m’amuser tout à l’heure, et je vais m’arrêter là dessus, qu’on ne saura pas qu’un jour, pour leur plaisir, quelques personnes se sont réunies, retrouvées dans cet endroit excentré, marginal et que nous avons abordé, mine de rien, et sans forcément épuiser toutes les conséquences, ce point qui, comme vous le savez, est aujourd’hui essentiel pour nos communautés quelles qu’elles soient : celui de l’arrimage, de l’accrochage ou non à ce point dont je dis bien que seul le mythe (non pas l’histoire) est capable de venir l’assurer. Et donc que des personnes se sont comme cela retrouvées, rassemblées et que peut-être, pour une fois, sur ce point si sensible, elles n’auront pas tranché par l’alternative si réductrice et si facile de l’engagement déterminé pour venir affirmer une identité ainsi historiquement fondée mais qu’elles auront peut-être envisagé la possibilité, la nécessité et bien à s’autoriser de soi-même ; s’assumer soi-même, prendre ses responsabilités, se fonder dans ses actes, dans ses déterminations, et par là, peut-être, sait-on jamais, arriver à envisager un type de cordialité humaine qui n’aurait pas le caractère barbare et féroce qui est celui que nous connaissons. S’autoriser de soi-même et du même coup être responsable de ce que chacun de nous engage en son nom en ayant pris par les leçons d’une histoire qui ne semble pas avoir jusqu’ici été particulièrement raisonnée et assumée, les conséquences de ce qu’implique ce franchissement qui me semble peut-être autoriser la respiration que la vacuole justement vient mettre en place.
Voilà donc, je me permets de le redire, pourquoi faut-il tant d’années pour que, en ce qui me concerne, je sois enfin capable de comprendre de quelle façon cette singularité bretonne me touche.
Je dois dire que mes attaches bretonnes ne pouvaient venir s’organiser que dans le partage de cette nostalgie, et que la solution, la résolution de cette nostalgie me paraît pouvoir permettre une sortie de cette affaire qui puisse être à la fois satisfaisante et honorable, aussi bien pour nous que pour le respect de nos ancêtres ; car après tout, peut-être que ce que nos ancêtres attendent de nous, c’est moins que nous venions répéter leurs rituels mais que nous venions célébrer leur mémoire en montrant ce qu’il en est de la dignité qu’ils auraient pu nous laisser, qu’ils auraient pu nous conférer.
Pardonnez-moi si à l’occasion d’une rencontre aussi agréable et si légère, je suis tombé dans ce type de gravité mais ça s’est passé pour moi comme ça.
Ile de Bréhat, 29 juin 2002
Paru dans Al Lizher numéro 16, novembre 2002
Kerali
En juin 2017, le n°00 de Kerali voit le jour sous la forme d’un bulletin intitulé « Kerali, bulletin de l’Association Lacanienne Internationale Bretagne ». Paul Bothorel, alors Président, préface ce premier numéro : « le nom de notre bulletin, disait-il, nous est venu collectivement et sans qu’il ait été programmé, comme un witz peut-être ? Notre référence à l’ALI est ainsi clairement posée, comme ce qui fonde notre légitimité, internationale donc. Et, se déclinant avec un préfixe breton, KER, si présent en Bretagne ; puisque c’est d’ici que s’origine notre parole et notre écoute… »