29 novembre 2024 - Saint-Brieuc - Comment s'insérer dans un pays d'accueil et quelle est la nature de la perte quand on rentre dans une autre culture ? Que faut-il accepter de perdre ? - Nazir Hamad
Édito
de Françoise Angelini,Présidente de l'association
Notre collègue et amie Denise Sainte Fare Garnot, membre de l’A.L.I Bretagne, est décédée le 18 septembre 2024. Denise a accompagné les bretons de l’A.L.I. dans la transmission de la psychanalyse depuis les années 1990. Merci à elle qui encouragea la fondation de l’E.P.B. et la construction de l’A.L.I. Bretagne. Elle fut attentive au nouage des transferts de travail dans les cités bretonnes. Denise connaissait bien les trajets entre Paris et Brest, Rennes, Saint Brieuc ou Quimper parce qu’elle participait très régulièrement à nos journées jusqu’à ce que l’âge et la santé l’obligent à limiter sa présence auprès de nous. Membre de l’Association Freudienne (future A.L.I.) depuis sa fondation en 1982, elle en fut secrétaire de nombreuses années. Elle fut très longtemps chargée de l’accueil des demandes d’admission et nombre d’entre nous se souviennent de cette rencontre. Jusqu’en 2022, elle transcrivit les séminaires et conférences, les articles et éditoriaux de... Lire la suite
Édito
de Françoise Angelini,Présidente de l'association
Notre collègue et amie Denise Sainte Fare Garnot, membre de l’A.L.I Bretagne, est décédée le 18 septembre 2024.
Denise a accompagné les bretons de l’A.L.I. dans la transmission de la psychanalyse depuis les années 1990.
Merci à elle qui encouragea la fondation de l’E.P.B. et la construction de l’A.L.I. Bretagne.
Elle fut attentive au nouage des transferts de travail dans les cités bretonnes.
Denise connaissait bien les trajets entre Paris et Brest, Rennes, Saint Brieuc ou Quimper parce qu’elle participait très régulièrement à nos journées jusqu’à ce que l’âge et la santé l’obligent à limiter sa présence auprès de nous.
Membre de l’Association Freudienne (future A.L.I.) depuis sa fondation en 1982, elle en fut secrétaire de nombreuses années. Elle fut très longtemps chargée de l’accueil des demandes d’admission et nombre d’entre nous se souviennent de cette rencontre.
Jusqu’en 2022, elle transcrivit les séminaires et conférences, les articles et éditoriaux de Charles Melman.
Dans « Le temps d’une traversée », livre qu’elle publia en 2014 aux éditions des crépuscules, de nombreux collègues de l’A.L.I. joignent leur témoignage à l’histoire qu’elle nous raconte de sa navigation sur le navire A.L.I.
Charles Melman, qui en fait la préface, écrit : « je ne sais pas exactement à quel genre littéraire appartient ce livre – celui des chroniques, peut-être de la chanson de geste – mais je sais que ce qu’il rapporte grâce à l’affection, la mémoire et aux archives de Denise Sainte Fare Garnot est vrai, ça s’est passé comme ça. »
Françoise Angelini
Dixit Charles Melman
Une amie m’a demandé ce qui pouvait spécifier le caractère breton d’une école psychanalytique, et bien justement je le situerais du coté de la particularité de cette nostalgie ; particularité qu’il y a lieu de préciser. Nostalgie que je me permettrais d’évoquer : celle d’une origine, d’une culture, d’une langue perdues. Nostalgie d’une langue, d’une culture, d’une origines perdues, d’avoir à se tenir debout, à se verticaliser, à œuvrer, à se marier, alors que justement cette origine, cette langue sont perdues. Le problème à cet endroit là, me semble t-il, surgit de façon aigue. Quelle réponse donner à cette perte, et qu’est-ce qui a été perdu ? Je veux dire : sommes-nous en mesure de concevoir que cette perte n’est pas spécifique après tout du monde celte, du monde breton mais que nous avons peut-être, après tout, tous perdu ce rapport à l’origine et, même lorsque la réalité historique est venue le confirmer ?
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Dixit Charles Melman
Je me suis longtemps demandé ce qui faisait mon attachement à la Bretagne. Il peut paraître bizarre qu’il faille beaucoup de temps pour arriver à des conclusions simples.
Je crois que ce qui fait l’unité de ce pays n’est pas tant géographique que constitué par une nostalgie. Est-ce que partager une nostalgie peut faire une communauté ? Je le crois ; c’est ce qui permet d’avancer ce thème à propos de ce qui nous réunit aujourd’hui, l’École Psychanalytique de Bretagne.
Une amie m’a demandé ce qui pouvait spécifier le caractère breton d’une école psychanalytique, et bien justement je le situerais du coté de la particularité de cette nostalgie ; particularité qu’il y a lieu de préciser. Nostalgie que je me permettrais d’évoquer : celle d’une origine, d’une culture, d’une langue perdues. Nostalgie d’une langue, d’une culture, d’une origines perdues, d’avoir à se tenir debout, à se verticaliser, à œuvrer, à se marier, alors que justement cette origine, cette langue sont perdues. Le problème à cet endroit là, me semble t-il, surgit de façon aiguë.
Quelle réponse donner à cette perte, et qu’est-ce qui a été perdu ? Je veux dire : sommes-nous en mesure de concevoir que cette perte n’est pas spécifique après tout du monde celte, du monde breton mais que nous avons peut-être, après tout, tous perdu ce rapport à l’origine et, même lorsque la réalité historique est venue le confirmer ? Mais ce rapport est fondamentalement mythique, à cette origine qui aurait pu être celle de l’accomplissement que chacun de nous peut souhaiter, qu’il soit personnel, celui des relations, celui que nous évoquons quand nous parlons de la langue maternelle.
Nous nous sommes plusieurs fois attachés à cette question dans notre école : qu’est-ce qui spécifie pour nous cette langue maternelle ? Est-ce que nous ne serions pas tous, au-delà, je dis bien, au-delà de ces différences, au-delà de ce que la réalité historique est venue confirmer dans bien des cas, dans cette nostalgie d’une origine qui aurait été celle de l’accomplissement personnel, collectif, social, et qui, à ce moment là, ferait que la singularité de telle ou telle communauté se trouverait représenter ou se conjoindre à ce qui serait le grand trait de ce que nous sommes les uns et les autres, quelle que soit notre origine, et quelles que soient nos apparences, de certitudes que nous avons quant à ces origines, sachant bien que ce ne sont jamais que des mythes qui viendront correctement y répondre parce que l’histoire s’avère là trop défaillante pour pouvoir soutenir ce qu’il en serait de cette assurance, de cette détermination trop précise, de ce point d’accrochage auquel nous aspirons tous. Ce qui fait que dans mon cas je pense – en tout cas je vous le livre – que ce qui m’a toujours fasciné dans ce pays, et qui a fait que pendant de très nombreuses années j’y ai eu une résidence qui était pour moi tout à fait privilégiée, pas seulement de vacances, c’était bien au-delà. Je dis bien, je suppose, le sentiment d’avoir rencontré dans ce peuple breton cet état dépressif dans lequel nous laisse ce désarrimage de ce point que j’évoquais tout à l’heure. État dépressif qui, je crois, nous marque de manière si générale et si peu réductible. Je crois que ce à quoi on reconnaît une créature humaine, c’est avant tout à cette petite tonalité dépressive qui l’accompagne et qui me semble articulée autour de ce détachement, autour de cette solitude à laquelle nous sommes destinés même quand nous cherchons avec l’agrément de la collectivité comme aujourd’hui à l’occasion de ce repas, de cette rencontre, même quand nous cherchons à la réparer, à la corriger, voire à faire le rêve d’un rétablissement de cet Eden original.
Lacan disait – puisque Jacques Garnier, après Rozenn le Duault, a si bien évoqué ce que pouvait raconter Lacan au sujet de l’île sur laquelle par exemple aujourd’hui nous sommes – Lacan disait que son enseignement n’avait jamais fait que vacuole. Et alors comme vous le disiez, Jacques, effectivement, une île après tout, si on ne se fascine pas sur le caillou ça peut aussi être pris comme ça, comme une petite vacuole, et je ne veux pas filer cette métaphore trop avant, mais nous savons combien la vacuole est nécessaire à notre respiration, à la possibilité de la vie. C’est à dire que la vacuole, dans la cellule, est déterminante de la possibilité de l’existence et c’est sans doute le cas pour nous. Ce qui fait que cette vacuole bien sûr ne va pas de notre part sans douleur, elle ne va pas sans plainte, sans nostalgie comme je l’évoquais ; mais je pense qu’il faut parvenir à la retourner et finalement à la concevoir comme étant l’accident heureux, car celui auquel nous devons de pouvoir penser, de pouvoir respirer, de pouvoir nous décider et je me disais pour m’amuser tout à l’heure, et je vais m’arrêter là dessus, qu’on ne saura pas qu’un jour, pour leur plaisir, quelques personnes se sont réunies, retrouvées dans cet endroit excentré, marginal et que nous avons abordé, mine de rien, et sans forcément épuiser toutes les conséquences, ce point qui, comme vous le savez, est aujourd’hui essentiel pour nos communautés quelles qu’elles soient : celui de l’arrimage, de l’accrochage ou non à ce point dont je dis bien que seul le mythe (non pas l’histoire) est capable de venir l’assurer. Et donc que des personnes se sont comme cela retrouvées, rassemblées et que peut-être, pour une fois, sur ce point si sensible, elles n’auront pas tranché par l’alternative si réductrice et si facile de l’engagement déterminé pour venir affirmer une identité ainsi historiquement fondée mais qu’elles auront peut-être envisagé la possibilité, la nécessité et bien à s’autoriser de soi-même ; s’assumer soi-même, prendre ses responsabilités, se fonder dans ses actes, dans ses déterminations, et par là, peut-être, sait-on jamais, arriver à envisager un type de cordialité humaine qui n’aurait pas le caractère barbare et féroce qui est celui que nous connaissons. S’autoriser de soi-même et du même coup être responsable de ce que chacun de nous engage en son nom en ayant pris par les leçons d’une histoire qui ne semble pas avoir jusqu’ici été particulièrement raisonnée et assumée, les conséquences de ce qu’implique ce franchissement qui me semble peut-être autoriser la respiration que la vacuole justement vient mettre en place.
Voilà donc, je me permets de le redire, pourquoi faut-il tant d’années pour que, en ce qui me concerne, je sois enfin capable de comprendre de quelle façon cette singularité bretonne me touche.
Je dois dire que mes attaches bretonnes ne pouvaient venir s’organiser que dans le partage de cette nostalgie, et que la solution, la résolution de cette nostalgie me paraît pouvoir permettre une sortie de cette affaire qui puisse être à la fois satisfaisante et honorable, aussi bien pour nous que pour le respect de nos ancêtres ; car après tout, peut-être que ce que nos ancêtres attendent de nous, c’est moins que nous venions répéter leurs rituels mais que nous venions célébrer leur mémoire en montrant ce qu’il en est de la dignité qu’ils auraient pu nous laisser, qu’ils auraient pu nous conférer.
Pardonnez-moi si à l’occasion d’une rencontre aussi agréable et si légère, je suis tombé dans ce type de gravité mais ça s’est passé pour moi comme ça.
Ile de Bréhat, 29 juin 2002
Paru dans Al Lizher numéro 16, novembre 2002
Kerali
En juin 2017, le n°00 de Kerali voit le jour sous la forme d’un bulletin intitulé « Kerali, bulletin de l’Association Lacanienne Internationale Bretagne ». Paul Bothorel, alors Président, préface ce premier numéro : « le nom de notre bulletin, disait-il, nous est venu collectivement et sans qu’il ait été programmé, comme un witz peut-être ? Notre référence à l’ALI est ainsi clairement posée, comme ce qui fonde notre légitimité, internationale donc. Et, se déclinant avec un préfixe breton, KER, si présent en Bretagne ; puisque c’est d’ici que s’origine notre parole et notre écoute… »