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Auteur : Anne de Fouquet – Guillot.

(journées sur « Le trinitaire »,à Poitiers, les 11 et 12 décembre 2004)

C’ est à quelques tours et détours du côté de l’ Océanie que je vous convie aujourd’hui, afin de réfléchir sur ce phénomène follement exotique à première vue que l’on nomme le totémisme.

Le totémisme constitue un inépuisable et merveilleux sujet de discorde dans l’histoire de l’anthropologie, les différences de définition et d’interprétation ayant abondamment fleuri depuis les années 1900. Lévi- Strauss, dans son ouvrage « le totémisme aujourd’hui », considère le totémisme comme une conséquence logique des lois de l’esprit humain et du langage.

Très brièvement, et donc avec les inconvénients de l’approximation, nous considérerons le totémisme comme spécifique des sociétés tribales divisées en clans, et dans lesquelles un clan est dit descendre d’une entité totémique ( animale, végétale ou autre, par exemple phénomène naturel ).Ce totem est généralement, mais pas toujours, transmis par filiation, le plus souvent matrilinéaire, mais parfois patrilinéaire. S’y associent un certain nombre de prohibitions, c’est à dire d’interdits, en particulier sexuelles et matrimoniales ( interdiction des relations sexuelles et du mariage entre personnes de même totem ), mais aussi de nourriture

( interdiction de consommer le totem), de chasse, de contact etc. Dans certaines sociétés il existe des rituels totémiques destinés à favoriser l’ action ou la croissance du totem, et à s’attirer sa bienveillance, tout en l’honorant. La transgression de la loi consécutive au totémisme entraîne généralement comme conséquence  maladies et mort. L’exogamie, c’est à dire l’obligation de se marier avec une personne étrangère à son clan d’une manière déterminée par la place de chacun dans la structure de la parenté ( exogamie clanique) accompagne le totémisme, mais elle peut aussi exister sans lui. L’ exogamie totémique est en général la règle, surtout dans les totémismes matrilinéaires.

Le mot totem vient de l’indien ojibwa ( langue algonkine, Amérique septentrionale) : ototeman, ce qui signifie : « il est de ma parentèle », désignant la parenté entre celui qui parle et un germain homme ou femme , groupe exogame dans le niveau de génération du sujet.

Il existe différentes sortes de totémismes :

  1. Social : soit clanique, avec trois possibilités de transmission :
    1. matrilinéaire : la lignée maternelle transmet le flux de vie, la chair, il existe une identification charnelle, dit Lévi- Strauss, clan- totem. On note l’importance de l’oncle maternel, frère de la mère, dont certaines parties du corps sont, chez les Kanaq, sacrées car réceptacles du totem.
    2. patrilinéaire = patrilocale : le lieu d’origine du clan du père détermine la transmission puisque le lien avec le totem s’établit par l’intermédiaire des sites totémiques situés sur le territoire patrilocal.

Dans ces deux systèmes, il existe un totem principal et des totems secondaires.

3- Conceptionnel :

– soit les individus sont du totem correspondant au lieu où ils ont été supposés conçus par l’effet des gênes présents dans ce lieu, ( c’est la parole de la mère qui l’indique, et il se trouve que l’enfant est toujours du totem correspondant à l’ordre clanique) ou bien à leur lieu de naissance.

– soit dans le totémisme de rêve, le totem de l’enfant est révélé à la mère en rêve lorsqu’ elle ressent les premiers signes de grossesse, et là encore le totem sera conforme à l’ordre clanique.

Dans ces deux cas, le totem de l’enfant peut être différent de celui de ses parents.

soit sexuel : les personnes d’un même sexe possèdent le même totem, par exemple les totems masculin et féminin seront des oiseaux, ou bien des plantes.

soit de moitié, de section, de sous-sections : la succession des générations entraîne l’appartenance à des subdivisions claniques correspondantes :

Ex : un homme sera de la même section que le père de son père et aura donc le même totem. La relation au totem est ici mythique.

Voici donc les principales formes de totémisme social.

  1. Ensuite, le totémisme individuel : repose sur la relation particulière entre le sorcier et une espèce animale.
  1. Ensuite, le totémisme cultuel, c’est à dire religieux : soit patrilinéaire, soit conceptionnel.

Enfin, le totémisme de rêve est soit social comme nous l’avons déjà vu, soit individuel.

Tout ceci est extrêmement varié, contradictoire, on peut trouver toutes sortes d’exceptions (pas d’exogamie, ou pas de notion d’ancêtres, ou encore pas de prohibitions de chasse…), de contre-exemples… Lévi- Strauss considère d’ ailleurs que l’on devrait parler de totémismes au pluriel.

Très brièvement, les différents totems sont :

Soit animaux : tout animal ( terrestre, aquatique, aérien), y compris les plus modestes, et aussi des animaux imaginaires, ou encore des animaux ayant disparu de certaines tribus.

Soit végétaux : là encore, extrêmement variés, des végétaux cultivés ou sauvages Soit des phénomènes naturels : tonnerre, tourbillon du vent, bulles d’air remontant dans l’eau, rivière, ruisseau…

26 janvier 2020

à la Table ronde sur la résolution du transfert,

transcription : M.J. Fabre

relecture : Patricia Le Coat Kreissig

Je me permettrai de faire un appel à la modernité, autrement dit, au fait que nous ne pouvons pas continuer à parler comme si il fallait poursuivre le respect de certains silences. Je crois que nous pouvons, à l’âge qui est aujourd’hui le nôtre, je parle du mien, bien sûr, je crois que nous pouvons quand même ouvrir les yeux sur au moins ceci : c’est que la cure, nous le voyons très vite dans nos sociétés, et même entre sociétés, qu’elle peut avoir des effets très différents. Je ne parlerai pas de pas d’effet du tout – cela nous intéresse moins – mais quand je suis arrivé dans ce milieu, j’étais frappé par le fait que, chez un certain nombre de collègues, qui par ailleurs sont sûrement très bien, la cure avait essentiellement pour effet de permettre une libération des symptômes, non pas de les traiter, non pas de pouvoir s’en débarrasser ou s’en soulager mais de dire «  que maintenant j’avais le droit, au lieu de passer mon temps à me fatiguer, à les faire refouler, j’avais le droit tout simplement si j ‘étais hystérique de faire en sorte que vous allez le savoir … »  et ainsi de suite avec des coming- outs divers. Ce n’est pas rien. Pourtant, on peut dire que cela a un effet de pouvoir ainsi s’autoriser de ses symptômes. 

Il y avait d’autres collègues qui étaient peut être moins nombreux, chez qui la cure avait un étrange effet. Manifestement ils parlaient depuis un endroit étrange et inhabituel, détachés de ce que avaient pu être leurs fantasmes originaires, leurs fantasmes  de départ. Ils semblaient exercer une spéculation, un esprit spéculatif et analytique détaché des contingences névrotiques et transférentielles. On pouvait évidemment se demander si cette mutation était effectivement à retenir comme étant l’effet de la cure. Une mutation qui, si vous les lisez ou reprenez – j’aimerais bien qu’on les reprenne ensemble – les lettres de la correspondance de Freud pose la question à cet égard. D’où est-ce qu’il écrit ce type ? Il n’écrit pas à partir d’une place ordinaire, commune. D’où est-ce qu’il écrit ? Est-ce que c’est depuis sa névrose, est-ce que c’est son amour des lettres, est-ce que c’est la haine du prochain qui est quand même le fondement de nos relations sociales ? D’où est-ce qu’il parle ? Manifestement ce qui frappe chez lui, c’est qu’il parle d’un endroit parfaitement original et insoupçonné parce que vous n’en avez pas d’équivalent. Il n’y a pas d’équivalent à ce qu’étaient les lettres écrites par Freud. Il paraît  qu’il y en a 50 000, ce qui a certainement une signification particulière.   

Puis il y avait dans la vie des sociétés ce qui existe toujours, c’est à dire des modalités de la relation transférentielle à soit l’auteur de l’enseignement auquel se réfère la communauté en cause, ou bien à celui qu’on appellera le leader du groupe considéré et les modalités de la relation transférentielle qui connaissent évidemment toutes les étapes propres à ce que sont les relations transférentielles qui divisent nos groupes en un certain nombre de segments divers avec cet effet pratique que nous connaissons comme tout le monde. Cela peut encourager le travail, ça peut l’inhiber, ça peut le contrarier, ça peut le nier. Tout ce que vous voudrez. 

Vous avez à ce moment là le sentiment net qu’il y a un problème transférentiel majeur qui reste accolé  à la cure psychanalytique et que nous n’avons pas résolu. Il n’est toujours pas résolu. Je raconte souvent parce que je ne suis pas sûr qu’il y ait encore parmi vous des survivants à cette épopée qui aurait voulu être héroïque et qui était plutôt déprimante, octobre 67.  Quand Lacan a réuni l’École Freudienne pour faire sa proposition sur la Passe – c’est à dire justement l’évaluation du moyen de franchir une bonne fois pour toute ce qu’ il en était de notre aliénation dans la relation à l’Autre, ce mode névrotique de la relation à l’Autre, c’est à dire de  souffrance de la jouissance – lorsque Lacan est donc venu proposer son affaire dans les caves  de Sainte Anne, parce que la chapelle était en réfection et nous étions donc privés de ce lieu respectable, il a provoqué une insurrection. Et sous mes yeux, qui n’étaient plus déjà à l’époque tout à fait jeunes ni surpris, j’ai vu ses meilleurs élèves s’insurger contre une proposition qui était en avance de quelques mois  sur ce qui allait se produire en Mai 68, la révolte dans les Universités. C’est à dire une procédure d’évaluation. D’évaluation de quoi ?  Une procédure de la Passe  dont l’apparente complexité est en réalité excessivement simple. Il s’agit de savoir si l’analysant a effectivement traité ce qu’il en est de son rapport au Réel dont Jean Paul  Beaumont vient très bien de nous rappeler l’importance et le caractère décisif et déterminant. Il s’agit de savoir s’il avait abordé son rapport au Réel d’une manière que l’on pouvait considérer comme le qualifiant pour tenir la place du psychanalyste – pas lui donner un savoir, ni une médaille, ni un pompon ni une dignité, ni quoi que ce soit mais – le qualifiant pour tenir cette place.

Bon. J’ai eu le privilège d’être élu, vous vous rendez compte, et de participer au premier jury de « la Passe ». J’ai appris assurément beaucoup de choses mais ce n’est pas notre sujet d’aujourd’hui. En revanche pour aborder cette question, je me servirai d’une remarque, qu’un de nos amis venus de province, a bien voulu me faire concernant justement sa relation au transfert. Et me disant que je l’avais beaucoup aidé dans la mesure où, un jour il m’avait vu péter les plombs – c’était son expression – à la tribune et que ça l’avait beaucoup aidé parce que il avait à ce moment là dans l’idée la résolution de son transfert, puisque il avait compris que finalement j’étais fait de faiblesses communes et que j’étais parfaitement capable de réagir et de m’émouvoir comme tout humain d’entre nous à un certain nombre de situations  ou de problèmes. C’était dans sa bouche une remarque plutôt très gentille. Très gentille, puisque ça voulait dire que au fond, alors même que je semblais manquer à ce qui aurait été mes devoirs d’analyste, c’est à dire l’impassibilité, je lui rendais encore un service analytique. C’est, je dois le dire, vraiment très chic de sa part et je ne l’ai pas pris autrement. 

 En revanche cette remarque débouche sur une question qui elle est beaucoup plus fondamentale et tout à fait détachable en ces circonstances. Qu’est-ce que à la fin de la Cure, l’analysant fait de son rapport au Réel ? Effectivement c’est bien ce que Jean Paul Beaumont a voulu évoquer tout à l’heure. 

La pratique même de la cure implique au moins deux éléments. D’abord la primauté de l’amour, en tant qu’il est le trait caractéristique de l’instance qui est ici considérée. L’amour est toujours vécu comme réciproque. Toujours. Lacan le fait remarquer : je l’aime parce qu’il m’aime ou c’est parce que je l’aime qu’il m’aime. Alors que les structures de réciprocité comme le souligne Lacan, ne sont pas ordinaires dans le champ psychique, en voilà au moins Une.

 La seconde déduction qui se trouve liée à la pratique de la cure, c’est que finalement l’amour peut suffire dans l’existence. C’est à dire que le sexe reste un accident, un supplément, une circonstance, une éventualité mais que l’amour prévaut en tout cas. Y vaut la règle d’abstinence comme Freud l’a très justement établi pour la pratique. De telle sorte que j’en étais amené à considérer qu’il s’en dégageait au moins deux conclusions de la pratique de la cure, de la pratique classique.  

La première c’est que finalement le Réel, je peux foncer dedans. L’impossible. Il y a de l’impossible. Ah bon ? Et qu’est-ce qui m’en empêche ? La pratique de la cure : est-ce qu’il y a quelqu’un pour m’arrêter ? Au contraire on m’y invite à m’exprimer sans frein, sans limite. Ça c’est une….

Et d’autre part,  est-ce qu’il y a dans le Réel quelqu’un qui en serait le gardien et qui dirait attention ? Est-ce qu’il y a un panneau : ici Réel ? Autrement dit : Stop. 

Ceci donc pour vous rappeler si c’est nécessaire, le fait suivant : nous avons deux modes de traitement du Réel. C’est cela qui rend compte de ce qui fait que la fin de la cure est terminable ou non. Deux modes. Il y en a un qui est celui effectivement de se trouver affronté d’une limite. Voilà, stop ! C’est ici que ça s’arrête. Au delà c’est pas bon. Je n’ai pas dit : ce n’est pas permis, c’est impossible. Ça, c’est un mode.

L’autre mode c’est : «  Tu peux toujours aller plus loin ! Pousse, pousse, pousse !  De toute façon, tu n’arriveras pas au bout ! ». C’est ce qu’il en est de la cure dite interminable. Où est-ce que vous avez l’écriture par Lacan de ces deux modalités ? Elles sont très simplement inscrites dans les discours, car comme vous l’avez évidemment remarqué, il y a dans les discours deux façons selon que l’on est du côté de S1 ou du côté de S2, d’aborder ce qu’il en est du Réel. 

Si je suis dans le champ de l’Autre il est bien évident  dans la mesure ou la chaîne est littérale dans l’Autre, assimilable à celle des nombres réels, si pour imager je suis entre 0 et 1, je peux toujours avancer le plus proche possible du 1 sans jamais y parvenir. Mais il y a là un Réel, qui se prête à toutes les explorations qui repoussent au maximum, ce qu’il en serait d’un impossible, d’un non faisable. J’ai toujours aimé voir les gosses. J’ai une pratique des enfants qui m’intéresse toujours, quand je les vois à l’âge de 2 ans voire 3 ans, age où ils foncent sur les adultes pour leur rentrer dedans. On se demande : quel est le plaisir que ça peut leur procurer ? Mais voilà une façon témoignée que finalement on a affaire à un Réel, si je puis le dire ainsi, aussi bienveillant et accueillant que possible et qui, supposons même,  se réjouit qu’on puisse le faire comme ça. L’enfoncer, le pénétrer, lui rentrer dedans. J’ose dire qu’on voit assez bien ce type de Réel être régi par un maternel, n’est-ce pas. En tous cas inspiré d’une philosophie, d’un style, d’une approche de type maternel. Vous avez de l’autre côté du côté de S1 un Réel qui lui, est marqué par une stricte limite, et qui comme nous le savons, va fonctionner comme interdit. 

Je ferai à ce « fonctionner comme interdit » aussi dans le transfert, la remarque qu’il n’ y a rien ni personne pour dire à ce Réel que ça va, puisque justement la figure paternelle c’est celle qui en l’ occurrence se trouve entièrement problématisée. Il y a eu dans la discorde entre Freud et Jung cette question de l’inconscient collectif. Bien sûr il n’ y a pas d’inconscient collectif, mais il est certain que le Dieu chrétien ce n’est pas le Dieu juif. Ca, c’est sûr. Là dessus il n’y a pas à tergiverser. Le Dieu juif est sûrement celui de l’interdit radical et sans miséricorde. C’est à dire le pêcheur n’est pas bienvenu. Et nous savons que le Dieu chrétien est assurément d’un tout autre type.  

Ceci est valant pour nous de quelle manière ? Ceci est valant pour nous pour souligner que la résolution du transfert d’abord peut se présenter de façons fort différentes et avoir des conséquences complètement différentes ou bien ne pas être résolue du tout. Il y a dans notre pratique une façon de faire dont je me permettrai de dire qu’elle va faire en sorte que la vie sociale des psychanalystes va être pourrie. Car, ce qui a été une de mes surprises quand je suis arrivé dans ce milieu, c’est de le constater. Qu’est-ce que ça veut dire, pourrie ? Ca veut dire tout simplement que tout ce que sont des malfaçons de la vie sociale ordinaire, se trouve non seulement représenté mais potentialisé, exemplaire dans la vie des groupes analytiques. Tous les coups bas, les ambitions, les compromissions, les contusions, les hypocrisies, les  « ôte-toi de là que je m’ y mette », les malhonnêtetés intellectuelles…

Quand on est jeune ça fait encore un peu impression, mais enfin qu’est-ce ? Ce comportement  sans retenue ? Je suppose que justement cela met davantage un frein dans la vie sociale. Ce qui est dans le transfert pouvait donner l’idée d’un impossible en carton-pâte, sans aucun gardien, sans aucune limite, y trouvait son expression immédiate, sa revanche. Que celui qui en tant que  névrosé avait eu l’obligation de refouler ses pulsions à cause de la loi paternelle, – c’est quand même ça qu’il faisait le névrosé – celui-là avait pu vérifier dans la cure, que  «  hop-hop » on peut y aller. Ce n’est pas de la rigolade. « Et je suis enfin…, je peux… vis à vis d’autrui me comporter de la manière qui ME,  me fait plaisir, n’est ce pas…, et puis basta etc… ».

Nous assistions donc dans cette vie sociale des analyses, à ce qu’était la production de la soi-disant résolution du transfert car ce fait, la vérification que l’ Autre est déshabité, cette vérification avait des conséquences de revanche  qui ont fait , – je l’ai plusieurs fois raconté, qui ont fait – que j’ai pu assister à des scènes de Lacan confronté à ses meilleurs élèves dont je vous assure que vous auriez été extrêmement heurtés, choqués et blessés . Vous vous seriez dit : « Mais enfin dans quel monde est-ce que je suis ? Où est ce que je suis rentré, là ? »

J’ai évidemment beaucoup essayé de savoir auprès de mes collègues si sa façon de traiter avec moi le transfert avait été une manière qui m’était réservée et si chaque patient a le droit, si je puis le dire ainsi, à sa petite fleur privée. J’ai tenté de savoir si ça m’était réservé ou bien si c’était un bouquet collectif. Jamais je n’ai réussi à obtenir de mes collègues une réponse parce que Lacan, lui, justement avait son maniement du transfert, Françoise Gorog, Christiane Lacôte  l’ont fréquenté,  d’autres ici l’ont connu. Il n’était pas mort dans le transfert.  Il n’était pas mort dans son fauteuil. Il était très vivant. Très vivant et même de proximité qui paraissait souvent audacieuse voire à la limite. On se demandait : « Mais qu’est ce qu’il me veut ? Après tout, quels sont ses meurs. Hein, on ne sait jamais. » Sur le divan il vous soufflait dans le coup. Son haleine qui n’était pas pestiférée, pas du tout …  mais enfin vous l’aviez dans le cou. Ou bien vous aviez un privilège, n’est-ce pas, d’entendre le halètement de l’Autre, ou bien vous aviez quelque chose qui venait de quelqu’un d’averti, d’informé sur ce qu’il en est de notre relation au transfert. 

Puisque je parle depuis un petit moment, je vais conclure sur trois brefs points qui ont marqué nos interventions et qui concernent donc le grand problème, la résolution du transfert. 

La traversée du fantasme. 

Si Lacan se sert du terme de traversée, ce n’est évidemment pas par hasard. Une traversée suppose qu’il n’y a pas de franchissement de frontière. On va d’un bord à l’autre mais il n’y a pas frontière à franchir. Qu’est ce que ça voudrait dire ? « Ca voudrait dire que dans mon rapport à l’objet perdu il n’ y aurait pas de limite, pas de frontière ? ». La traversée du fantasme. Traverser le fantasme, pour l’illustrer de façon qui ne serait pas abusive, j’évoquerai ce qu’il en est du cross-cap. Ce qui est fondamental dans la vie psychique et qui va différencier névrose et psychose, c’est de savoir si l’auto-traversée de cette fameuse bande qui, au départ est bilatérale, si cette auto-traversée se fait ou pas. La ligne qui permet cette auto-traversée, c’est la ligne phallique. Qu’est-ce que ça veut dire le phallus ? Le phallus, c’est l’instance qui fait que ce qui est perdu, c’est ce que vous sacrifiez. Cela va être le support de la jouissance sexuelle. Permettez-moi cette brève remarque anthropologique, très succincte. Cela n’a pas toujours été comme cela. Dans l’antiquité existent des sacrifices permanents, incessants, lourds, graves. Quand on sacrifie les 12 plus beaux jeunes gens de la cité, dans une cité qui avait inventé la philosophie, le calcul, le démocratie, l’astronomie, on prend les 12 plus beaux jeunes gens et on les envoie périr à Delphes. Le sacrifice était permanent. Ils n’étaient pas destinés à servir  la jouissance. Ils étaient destinés à payer le tribu, de ce que l’on supposait que les Dieux nous accordaient comme jouissance. Il fallait qu’ils aient leur part, un morceau de cette jouissance qu’ils étaient supposés nous assurer. C’est avec la religion, bien sûr, qu’apparaît l’instance phallique. Et c’est pourquoi, et c’est aussi bien, avec la laïcité d’état qu’elle va disparaître. Bon on n’en est pas là. 

Donc, la traversée implique justement que l’accès à la reconnaissance sur l’autre face qui est en même temps la même, l’unique, celle à laquelle j’ai accès sans frontière, sans limite se fait et ainsi celui à l’objet justement sacrifié. Je peux rencontrer l’objet de mon fantasme sans avoir de frontière, de limite à franchir et ceci lève d’une manière essentielle, l’interdit puisque le lieu où s’exerce mon désir est lui même dans le Réel. La fente d’où s’exerce mon désir n’est pas séparable de celle qui se trouve constitutive de l’objet de mon désir. 

J’en reviens du même coup au et tout de suite, une seconde à « Ne pas renoncer sur son désir ». Ce sera là l’éthique de la psychanalyse. Et c’est ce que nous allons discuter cet été, à l’occasion d’un colloque dont le bureau de l’association essaye de faire un petit événement. Il fera en sorte que ce soient des analystes venus d’horizons divers, essentiellement lacaniens mais peut être pas seulement, qui viennent confronter ce qu’il en est de leur position éthique c’est à dire leur position à l’égard du sacrifice, à l’ égard de l’interdit, et à l’égard de cette jouissance dont il y a lieu de savoir si elle vaut pour nous d’être constamment et éternellement en souffrance ou bien si après tout nous y avons un accès. « Ne pas renoncer à son désir », voilà une formulation que je trouve  scandalisée forcée, et qui fait hésiter quand même. « Comment, qu’est-ce que c’est ce truc ? Ça veut dire quoi ? » Ca veut dire que si j’ai des désirs  – d’abord, évidemment, le désir premier, le premier désir est incestueux – alors quoi ? Une politique d’encouragement à l’inceste ?  Si j’ai des désirs éminemment pervers : « Vas-y mon gars ». Si j’ai des désirs homicides : «  Eh bien va au bout » ? Est-ce qu’on sait ce que c’est ce que ça veut dire : « Ne pas renoncer à son désir » ?

Si c’est effectivement le cas, cette vie sociale qui a pu me surprendre dans le milieu est parfaitement ordinaire et parfaitement caractéristique. D’autre part je ferai encore une petite remarque que ne pas renoncer à son désir c’est ce qui caractérise un fragment limité très spécial de notre espèce : c’est ce qui caractérise le héros depuis toujours, depuis la mythologie. Ce qui caractérise le héros c’est que lui, son désir, il va jusqu’au bout. Il ne s’arrête pas en cours de chemin. C’est le héros avec toutes les conséquences tragiques qui en résultent aussi bien pour son entourage que pour lui même. Ceux qui ont approché un petit peu Lacan savent. Lacan était quelqu’un qui ne renonçait pas à son désir. Assurément, il y a une foultitude d’anecdotes qui courent à ce sujet et qui peuvent concerner aussi bien l’ouverture d’une église fermée à Venise qu’il arrivait à faire ouvrir parce qu’il y a là un Titien  qu’ il tient absolument à voir et ainsi de suite et à toutes les étapes. Je passe sur les étapes privées qui ne nous regardent pas. Ca l’a amené à vivre dans la tragédie. Ça c’est sûr. Et pourquoi ne pas le dire comme ça, tragédie pour son entourage. Y compris psychanalytique. Je dirai dans ce qui est devenue l’École Freudienne, il a eu quelque chose d’un déroulement comme un scénario tragique comme si c’était écrit. Comme si ça se déroulait parce que à partir du moment où des prémices avaient été comme ça, ça ne pouvait que se passer que comme ça. C’est à dire qu’il verrait lui même son œuvre usurpée, détournée, par ceux-là même qui étaient supposés  devoir garantir le caractère sensationnel et qui est resté absolument sensationnel, de ce qu’il a apporté et comment le héros tragique sera lui même abusé et trompé mais le sachant, -il l’a su jusqu’au bout- par ce que les prémices avaient ainsi marqué comme inscription préliminaire. 35,58

Alors, qu’est ce que vous en pensez de ça ?  

On va dire et je vais conclure sur ce point. On va dire au fond ce qu’il faut dire c’est : « ne  renonce pas à l’objet de ton désir ».  Ce qui va contre évidemment la saga oedipienne, contre le mythe oedipien. Ne renonce pas à l’objet de ton désir parce que- peut être que le mythe oedipien il est fait justement pour te protéger contre la possibilité d’avoir accès à ceci – ce qui organise ton désir, fondamentalement, c’est le Rien. Et que ça, le vide c’est l’objet le plus compacte qui soit. Le trou. C’est un objet compact puisque ce n’est pas divisible. Donc c’est aussi bien l’objet le plus dense. On rigole avec ça mais il faut croire que ça ne fait pas tellement rigoler.  Parce que c’est vraiment la vérification, chacun est contrairement aux alibis qu’il se donne avec tous les ordres qu’il a reçus,  seul et responsable. Il est responsable. Responsable de ce qu’il fabrique et  il s’est raconté des histoires, des contes pour enfants et sans doute que l’Oedipe  en est un. Un conte pour enfant.

Dans la mesure où – Jean Paul Hiltenbrand le rappelait tout à l’heure – c’est le langage qui fait le Réel, qui fait la perte de l’objet. Je n’ai pas besoin de perdre quelque chose pour que ce soit déjà perdu avant même que j’y entre. La perte est déjà là maintenant et c’est elle qui l’a agencée. Mais ça, je ne veux pas le savoir, je préfère, je préfère penser que j’ai perdu ma maman, ma maman, j’ai perdu ma maman. Bah, c’est triste !

Donc si je le présente comme ça c’est peut-être pour souligner que nous qui manipulons ces formules qui sont explosives et cela mériterait que  nous nous y frottions un petit peu plus.

Peut- être que cet été, c’est pas impossible que nous arrivions à de meilleures conclusions parce que, d’une certaine façon, à ma surprise, moi je sais que des psychanalystes, il y en a qui sont allés jusqu’ au bout. Et j’ai eu la surprise parfois d’en rencontrer que ce soit dans notre groupe ou ailleurs. Parce que j’entends quelqu’un comme celui que vous avez vous même pu apprécier hier, et il n’a pas pu être là aujourd’hui parce qu’il avait un engagement, mais il aurait aimé être là avec nous, c’est à dire Pierre Bruno. Vous avez entendu qu’il parle d’une place et la place d’où il parle et d’où il procède à ses évaluations, c’est une place privilégiée,  ce n’est pas la place de son fantasme. Alors il peut dire des choses discutables, comme tout le monde, comme moi sans doute.  Mais en tous cas la place d’où il parle, c’est à ça qu’on reconnaît l’analyste. J’ai pu à mon grand soulagement, rencontrer pas seulement, – je n’ai jamais parlé avec lui, je n’ai jamais lu le moindre de ses textes – et entendre quelqu’un avec qui je suis d’emblée  sur les mêmes problèmes, avec les mêmes interrogations, avec les mêmes soucis, et en qui je peux reconnaître  quelqu’un qui est un ouvrier à la tâche, comme moi. Et même j’ai rencontré  quelqu’un que je n’avais pas vu depuis 40 ans,  qui me hait et qui s’appelle Allouch à Dublin, il y a une année. Allouch écrit sur l’édification de la psychanalyse des choses scandaleuses. Irrecevables. Inconciliables. Ceux, qui ont envie de jeter un coup d’oeil dans son bouquin et en particulier les Brésiliens pourront juger. Mais néanmoins, en l’écoutant, je n’ai pas pu dire autrement que c’est quelqu’un avait quand même une certaine place comme ça, où ce qui se cogitait, c’était pas mal du tout. Est-ce que c’est au titre de Un chacun d’entre nous que nous pouvions nous identifier ? Pas du tout. On n’était pas des Un si j’ose ainsi m’exprimer. On n’en était pas, on n’était pas ni des 1 ni des 2, y avait pas de hiérarchie, on n’était pas non plus des objets. Qu’est-ce que nous étions ? Peut-être des hystériques parfaits comme disait l’autre. Je ne vais développer là ce que je fais à la perfection de l’hystérie. 

Une dernière remarque.

Est ce que la fin de l’analyse c’est la même pour un homme et pour une femme 

Ce n’est pas une question idiote. Et bien non, c’est pas du tout la même.  Ce n’est pas du tout la même. Pas du tout la même. Ça veut dire que le Réel dans chacun des cas ne peut pas être le même. Et effectivement le Réel n’est pas le même selon que vous êtes du côté du S1 ou du côté de l’Autre. Ce n’est pas le même Réel. Du même coup ce n’est pas la même logique. Il n’y a pas de oui et de non du côté de l’Autre. Il n’y a pas de contradiction. Allez, pour pouvoir vous donner un tout petit soupçon de misogynie, qui chez moi n’existe absolument pas. 

Oh, une femme, elle se moque du oui et du non, elle n’en a rien à foutre. On peut mêler l’affirmation et la négation. C’est la même formule, du même élan. «  Qu’est-ce qu’il y a de gênant là-dedans, puisque  je le dis, et bien c’est bon, quoi. C’est tout ! ». 

« Mais comment ? Tu débloques, tu ne sais pas ce que c’est que la raison ». 

Chacun a sa raison semble-t-il. « Mais tu es dans l’excès, tout le temps, moi .. tu, tu.. » « Ah bon, pourquoi ? Et bien toi, t’es tellement timoré, hein, moi je suis peut-être dans l’excès mais toi, alors vraiment, tout te fais peur ».

S’il n’ y a pas de rapport, et bien c’est évidemment, comme vous le savez, que la femme n’est pas Une. Elle n’est pas Une et toute l’exigence de sa vie c’est d’être Une. Au moins pour Un. D’être sa Une. En première page, je voulais dire le premier page bien sûr. 

Ça ne peut pas être la même fin. Et ça concerne évidemment – et je conclus enfin sur ce point fondamental et qui est le truc extraordinaire de l’enseignement de Lacan – c’est que nous sommes tous, nous les parlêtres, des malades du fait , chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, de vouloir être Un . Désir d’être reconnu, celui que Hegel pointe formidablement comme étant le désir premier de l’homme. Qu’est-ce ça veut dire : le désir d’être reconnu ? C’est le désir d’être compté pour Un, tellement nous n’en sommes pas sûr, quand nous parlons, tellement la parole que j’émets, est-ce que la mienne s’autorise d’ un Un qui serait le  Un de Lacan ? Il y a des trucs que je raconte, peut-être qu’il hausserait les épaules, qu’est-ce que j’en sais ? Mais en tous cas nous sommes des malades de vouloir être Un,c’est-à-dire, de nous organiser un impossible, qui est celui d’ une soustraction de jouissance et qui fait qu’ à partir de là, il n’ y a plus de rapport sexuel. 

Puisque ce que je dois préserver pour que le sexe soit possible, c’est la castration.

Je vous le demande à vous,  s’il vous plaît, ce sera la dernière que je formulerai, en une phrase :

Qu’est-ce que c’est la castration ? On en parle tout le temps. C’est quoi, la castration, c’est quoi ? C’est quoi ? Moi, je voudrais qu’on me l’explique. Je ne sais pas, ou je sais plutôt, mais vous, vous ne le savez pas.  C’est quoi, la castration ? 

La castration alors, voilà, je vais tout vous dire, la castration, c’est que, si justement on ne respecte pas la dimension du Réel, la dimension de l’impossible s’étouffe  la possibilité du désir. Il n’ y a plus rien à désirer, il n’ y a plus de sens sexuel, il n’ y a plus de libido, et du même coup, il n’y a plus de sexe. C’est ça la castration. 

Et lorsque Lacan dit «  N’hésite pas sur ton désir » ça veut dire que c’est en allant jusqu’au bout de nos désirs que je vais rencontrer cette limite. Tu croyais abolir le Réel, tu ne fais que le découvrir et la limite de ta jouissance. C’est le point sur lequel nous sommes restés avec cette dernière, toute dernière conclusion, l’affirmation par Lacan, que toute analyse est didactique. Non mais vous vous rendez compte. Moi, quand je suis arrivé, en 57, c’était hier, il fallait voir un didacticien pour savoir si vous inscriviez votre analyse comme didactique ou pas. Il fallait au départ le dire si vous pensiez être analyste ou pas. Moi, je ne  savais pas du tout si je voulais être analyste. Je ne savais même pas ce que c’était, être analyste. Moi j’avais une formation médicale, point barre. « Est ce que vous voudrez être analyste, est ce que vous voulez faire une analyse didactique ? »  J’ai donc été obligé de faire des visites  auprès d’autres analystes que Lacan, pour leur demander si je leur paraissais acceptable, au titre de futur analyste. Il fallait qu’ils m’évaluent. C’est Lacan qui a dit que tout ça  c’était des conneries, mais qu’est-ce que ça veut dire que toute analyse est didactique 

A mon sens, c’est la place d’ où, à la fin d’une analyse, s’exerce la parole, cette parole que j’entends tellement différente, tellement originale, – mais pas seulement chez Pierre Bruno – cette place, est contrairement à la place du sujet du fantasme, « oh, la destitution subjective », des termes qui sont supposés faire peur, alors que le sujet du fantasme, c’est quand même un bon connard. 

Qu’est ce ça veut dire que toute analyse est didactique ?  C’est que désormais la place d’où s’exerce la parole du sujet ne vient plus ouvrir dans le champ de l’Autre une faille singulière, celle de mon Moi tout seul et qui en général  se conçoit en opposition à celle qui est ouverte par l’instance au Réel ouverte par l’instance paternelle ou phallique. La parole du sujet c’est la parole du rebelle, c’est ça la parole hystérique. Et Moi ? Mais ça ne veut pas dire que le fait de ma parole dorénavant, vienne se loger au lieu même qui est le Réel où se tenait l’instance phallique, où se tenait l’instance paternelle va faire de moi un béni-oui-oui, puisque je reconnais en même temps que cette place est vide et qu’ il n’ y a pas besoin d’ouvrir cette espèce de pseudo, non pas polythéisme, mais bi-théisme, celui de ma parole, de mon Moi, que je cherche à faire reconnaître, mais que ma place en tant que sujet, est dans ce Réel  que j’ai vécu comme habité par le support de mon transfert, par l’instance paternelle, par l’instance phallique et que j’ai pu vérifier que voilà c’est comme ça que  j’avais donc à me débrouiller désormais avec ma parole, et à en être responsable. Et si c’est là, la fin d’une analyse, évidemment, elle est didactique c’est à dire qu’elle me met en position désormais d’entendre et de parler d’une façon qui est un petit peu différente.

Voilà, je crois que ça fait un bon moment là que je parle.

Merci de votre attention.